
L'observatoire Vera C. Rubin au Chili vient de dévoiler ses premières images de l'univers, marquant l'aboutissement de décennies de recherche et développement. Les équipes d'IJCLab ont contribué à la fiabilité des mesures du télescope et l’analyse des données.
Cette image combine 678 images distinctes prises par l'observatoire NSF-DOE Vera C. Rubin en un peu plus de sept heures d'observation. La combinaison de nombreuses images de cette manière révèle clairement des détails autrement faibles ou invisibles, comme les nuages de gaz et de poussière qui composent la nébuleuse Trifide (en haut) et la nébuleuse du Lagon, qui se trouvent à plusieurs milliers d'années-lumière de la Terre. Credit: NSF–DOE Vera C. Rubin Observatory
Une mission d'envergure : cartographier l'univers en mouvement
L'observatoire Vera C. Rubin a pour mission d'observer le ciel nocturne austral de façon répétée pendant une décennie en enregistrant tous les 4 jours le ciel visible avec une précision et une profondeur sans précédent. Ce relevé donnera vie au ciel nocturne et ouvrira la voie à de nombreuses découvertes dans notre univers proche (astéroïdes, comètes, étoiles pulsantes, explosions d'étoiles), comme dans l'univers lointain avec la découverte de milliards de nouvelles galaxies, de milliers de supernovæ, et avec la possibilité d’étudier les plus grandes structures de l’Univers.
Les photos prises par drone des installations du sommet de l'observatoire Rubin (fournies par Dome Surveyor, Oscar Rivera).
Chaque nuit, le télescope collectera 20 pétaoctets de données. En France, le centre de calcul CC-IN2P3 à Lyon contribue à leur stockage et traitement. Ces données seront mises à disposition des scientifiques du monde entier, favorisant des découvertes et des avancées sur les décennies à venir. Elles contribueront à mieux comprendre l'Univers, à retracer son évolution, à percer les mystères de l'énergie noire et de la matière noire.
La calibration par spectroscopie holographique: quand le laser rencontre l'astronomie
Pour réussir cette cartographie cosmique, le télescope de l'observatoire bénéficie d’une technologie mise au point à IJCLab : la spectroscopie avec un hologramme. Cette technique permet de mesurer l’impact de l’atmosphère pour en compenser les effets. Elle permettra d’atteindre une précision de 0,1% dans la mesure des flux lumineux des astres par le télescope principal, au moins deux fois meilleure que celle des systèmes actuels.
Pourquoi cette amélioration de la précision est-elle importante ? L’atmosphère agit comme un filtre qui altère la lumière en provenance des étoiles et des galaxies. Il est dès lors nécessaire de mesurer cette absorption afin de corriger les flux reçus par le télescope pour reconstituer les flux tels qu’ils arrivent en haut de l’atmosphère. Dans le cas de l’Observatoire Rubin, cette tâche est effectuée par le télescope auxiliaire. Ce télescope, équipé d’un spectromètre sans fente, comparera en temps réel les spectres mesurés au sol d'étoiles standards avec leurs spectres en haut de l’atmosphère, connus par les observatoires spatiaux tels que Hubble.
La technique de l’holographie, surtout connue pour sa capacité à restituer la vision en trois dimensions, a permis ici de cumuler en un seul élément optique les fonctions de dispersion de la lumière, comme le ferait un prisme ou un réseau périodique ordinaire, et de focalisation, sans laquelle les spectres ne pourraient être nets sur toute la plage de couleur.
L’hologramme est une plaque photographique qui a enregistré la figure d’interférences de deux ondes issues de la même source laser. Après développement, un réseau non périodique de lignes apparaît. Ce réseau, interposé sur le faisceau image du télescope, disperse et focalise la lumière. Crédit : Marc Moniez (IJCLab).
Cette transformation d’un télescope en spectrographe par la fabrication sur mesure d’un hologramme représente une première mondiale dans l'instrumentation astronomique, positionnant la France à l'avant-garde de ce domaine.
Le Collimated Beam Projector : une "étoile artificielle" pour étalonner l'univers
IJCLab contribue également à la fiabilité de l'observatoire Vera C. Rubin grâce au Collimated Beam Projector (CBP), un instrument qui joue le rôle d'"étoile artificielle". Cet outil envoie un faisceau de lumière monochromatique dont le flux et la couleur sont contrôlés à 0,1%, permettant de mesurer la transmission du télescope et de ses filtres.
"Pour faire de la cosmologie avec des supernovae de type Ia, il faut pouvoir mesurer leur luminosité et leur couleur avec une exactitude extrême", précise Enya Van Den Abeele de l'équipe A2C-LSST d'IJCLab. "Si la transmission du télescope est mal connue, cela peut biaiser nos mesures de distance et fausser notre compréhension de l'énergie noire."
Une première version du CBP est installée dans le dôme de l'observatoire Vera C. Rubin et a réalisé ses premiers scans du télescope. Parallèlement, IJCLab a conçu en collaboration avec le LPNHE une version portable, le Traveling CBP (TCBP), qui peut être transportée sur différents sites.
Cette approche nomade a fait ses preuves lors de deux campagnes : la première sur le télescope StarDICE à l'Observatoire de Haute-Provence, la seconde sur ZTF au Mont Palomar en Californie.
Le travelling CBP au Zwicky Transient Facility. Credit : Enya Van Den Abeele (IJCLab)
Une prochaine étape consistera à scanner le télescope auxiliaire de l'observatoire Vera C. Rubin avec le TCBP, garantissant que les mesures de transmission atmosphérique ne soient pas biaisées par la réponse instrumentale du télescope.
FINK : l'intelligence artificielle au service de la découverte
L'analyse des volumes massifs de données constitue un autre défi majeur. IJCLab a mis au point FINK, un système d'alerte automatisé qui transformera l'exploitation des données de l'observatoire Vera C. Rubin. Chaque nuit, ce télescope produira environ 10 millions d'alertes astronomiques pendant dix ans - un défi d'analyse sans équivalent.
Schéma du fonctionnement du système FINK. Illustration par Alice Carneau (CNRS Nucléaire et Particules).
FINK, entièrement conçu et prototypé à IJCLab dans le cloud de VirtualData, s’appuie sur l’apprentissage automatique pour identifier en temps réel les phénomènes astronomiques les plus intéressants. Le système doit traiter 10 000 alertes toutes les 30 secondes, permettant de détecter automatiquement supernovae, astéroïdes, exoplanètes et autres phénomènes transitoires.
Depuis 2019, FINK a contribué à la détection de plus de 1000 supernovae de type Ia utilisées pour l'étude de l'énergie noire, découvert une nouvelle exoplanète située à 3000 années-lumière, et aidé à l’identification de nouveaux astéroïdes dans notre système solaire.
Une collaboration internationale coordonnée depuis la France
Ces projets mobilisent une équipe pluridisciplinaire d'IJCLab comprenant 6 chercheurs et 2 techniciens-ingénieurs, couvrant des domaines allant de l'optique de haute technicité à l'astrophysique computationnelle. Cette expertise française s'intègre dans la collaboration scientifique internationale DESC (Dark Energy Science Collaboration), dédiée à la compréhension de l'énergie noire.
Ces premières images de l'observatoire Vera C. Rubin marquent le début d'une décennie d'exploration qui pourrait transformer notre compréhension de l'univers. Grâce aux contributions de nombreux laboratoires du CNRS Nucléaires et Particules (IJCLab, le Centre de Calcul de l'IN2P3 (CNRS/IN2P3-CC), le Laboratoire de Physique Subatomique et de Cosmologie (LPSC), le Laboratoire de Physique Nucléaire et de Hautes Energies ( LPNHE - CNRS/IN2P3 - SU - UPCité), l'Institut de Physique des 2 Infinis, le Laboratoire d'Annecy de Physique des Particules (LAPP - CNRS/IN2P3 - USMB), le laboratoire Astroparticule et Cosmologie (APC), le Centre de physique des particules de Marseille (CPPM), le Laboratoire Univers et Particules de Montpellier (LUPM) et le laboratoire de Physique Corpusculaire de Caen (LPC), les astronomes disposeront d'outils d'une exactitude inédite pour :
- Caractériser l'énergie noire, cette mystérieuse force qui accélère l'expansion de l'univers
- Cartographier la matière noire avec une résolution inégalée
- Détecter automatiquement des phénomènes astronomiques rares ou inattendus
- Mesurer les variations de l'accélération cosmique pour tester les modèles théoriques
"Si nous mesurons les flux lumineux à 0,1% près, nous pourrons contraindre les paramètres de l'énergie noire à mieux que 1%", souligne Jérémy Neveu de l’équipe A2C-LSST du laboratoire. "Cela nous permettra d'affiner notre compréhension de cette entité inconnue et de départager les différents modèles théoriques."
Ces avancées technologiques françaises, intégrées au cœur de l'observatoire Vera C. Rubin, ouvrent la voie à une nouvelle ère de découvertes cosmologiques, où l'exactitude instrumentale permet d'explorer les mystères les plus profonds de l'univers.
L'observatoire Vera C. Rubin, anciennement connu sous le nom de Large Synoptic Survey Telescope (LSST), est situé sur le Cerro Pachón au Chili. Ce projet de 1,2 milliard de dollars scrutera l'ensemble du ciel austral pendant dix ans, produisant le plus grand film de l'univers jamais réalisé.