Le protactinium, élément radioactif découvert il y a plus d'un siècle, conserve encore de nombreux secrets. Une collaboration internationale impliquant des chercheurs d'IJCLab vient de résoudre des ambiguïtés qui intriguaient la communauté scientifique depuis des décennies concernant la nature et la stabilité de la liaison chimique caractéristique de cet actinide singulier. Photo : Set-up de la ligne de lumière MARS du synchrotron SOLEIL
Un élément aux propriétés chimiques uniques
Parmi les actinides, ces éléments lourds dont tous les isotopes sont radioactifs, le protactinium (Pa) occupe une place à part. Contrairement à ses voisins du tableau périodique comme l'uranium, qui forment en solution une structure linéaire appelée « ion actinyle » comportant deux liaisons avec l'oxygène, le protactinium pentavalent ne présente qu'une seule liaison courte avec l'oxygène, dite « mono-oxo ». Cette particularité soulève une question fondamentale : cette liaison mono-oxo est-elle stable, ou disparaît-elle selon l'environnement chimique ?
Les études antérieures avaient montré que cette liaison pouvait s'effacer en présence de certains ligands comme les ions fluorure. De plus, un désaccord persistait entre les mesures expérimentales et les prédictions théoriques concernant la longueur de cette liaison : les expériences indiquaient environ 1,75 Å, tandis que les calculs de chimie quantique prévoyaient plutôt 1,85 Å.
Des grands instruments au service de la radiochimie
Pour lever ces ambiguïtés, une équipe de chercheurs d'IJCLab (CNRS/IN2P3, Université Paris-Saclay), du PhLAM (CNRS/Université de Lille), de l'ISCR (CNRS/Université de Rennes), du synchrotron SOLEIL et du CEA DAM a choisi d'étudier le comportement du protactinium en milieu chlorure, un environnement faiblement complexant susceptible de préserver la liaison mono-oxo. Les mesures ont été réalisées sur la ligne MARS du synchrotron SOLEIL, un accélérateur de particules produisant un rayonnement X extrêmement intense qui permet de sonder l'environnement chimique immédiat d'un atome grâce à la spectroscopie d'absorption des rayons X.
Deux échantillons ont été préparés dans des conditions d'acidité très différentes : l'un à concentration modérée (3 M d'acide chlorhydrique), l'autre en conditions extrêmes (12 M). L'analyse des spectres EXAFS (Extended X-ray Absorption Fine Structure) et XANES (X-ray Absorption Near Edge Structure), couplée à des calculs de chimie quantique relativiste indispensables pour modéliser ces éléments lourds, a permis de caractériser précisément les espèces chimiques formées.
Des résultats qui réconcilient théorie et expérience
Les résultats obtenus sont remarquables à plusieurs titres. La liaison mono-oxo persiste dans les deux conditions étudiées, y compris à très forte concentration en chlorure, contrairement à ce qui avait été observé en milieu fluorure. Cette stabilité inattendue en conditions chimiques extrêmes ouvre de nouvelles perspectives pour comprendre le comportement de cet élément. De plus, pour la première fois, la distance de liaison mesurée expérimentalement (environ 1,83 Å) s'accorde parfaitement avec les prédictions des calculs de chimie quantique, résolvant un désaccord qui persistait depuis plusieurs années.
L'analyse a également permis d'identifier les espèces chimiques présentes en solution : des complexes oxo-chloro à coordinence sept, avec la présence d'un ligand hydroxyde ou chlorure en position trans par rapport à la liaison oxo selon l'acidité du milieu.
L'expertise radiochimie d'IJCLab
Étudier le protactinium représente un défi expérimental considérable : cet émetteur alpha nécessite des infrastructures spécialisées et des protocoles stricts de radioprotection. Melody Maloubier et Claire Le Naour, chercheuses à IJCLab au sein du pôle Energie et environnement et auteures expérimentales de l'article, ont coordonné la préparation des échantillons et l'acquisition des données dans les installations du laboratoire dédiées à la manipulation des actinides (laboratoire de chimie chaude).
Ces résultats constituent une avancée significative pour la compréhension du comportement chimique des actinides et ouvrent la voie à de nouvelles investigations sur la spéciation du protactinium dans d'autres milieux. Ces connaissances fondamentales trouvent des applications dans le domaine du cycle du combustible nucléaire, où la maîtrise du comportement chimique des actinides est essentielle pour le retraitement et la gestion des déchets radioactifs.
En savoir plus :
La chimie du protactinium revisitée par les calculs quantiques


















